La fin de l'Engagement

Traduit par K.P.G.


Les États-Unis ont déclaré la fin du « statu quo » dans les relations sino-américaines. L'escalade de ces derniers mois représente le consensus bipartisan américain et n’est que l’expression de l’échec de la stratégie essayant de promouvoir la dépendance politique de la Chine par son intégration économique dans un système mondial dirigé par les États-Unis. 

Alors que l'essor de la Chine dépasse les limites prédéterminées de l'ère de l'Engagement, le virage américain vers une guerre hybride démontre sans ambiguïté que l'endiguement et l'Engagement ne sont que les deux faces du même programme impérial dont l’objectif est l'assujettissement de la souveraineté chinoise aux intérêts américains. 


En novembre 1967, quelques mois à peine avant d'annoncer son entrée dans la course présidentielle de 1968, Richard Nixon a décrit dans le journal Foreign Affairs ce qui deviendrait le pôle d’orientation de Washington vers la Chine pour les cinquante années a venir. 

Dans un article intitulé « L'Asie après le Vietnam », Nixon a fait valoir que la guerre au Vietnam avait tellement préoccupé l'esprit des dirigeants américains qu'elle avait éclipsé la situation dans son ensemble. Le Vietnam - un petit pays au bord d'un vaste continent - aurait pu certes « complètement occuper nos esprits », écrivait Nixon, « mais il ne peut occuper complètement la carte. » La vraie baleine blanche, le monstre à craindre et à désirer, c'était la Chine. 

« La Chine rouge », selon Nixon, était une partie du monde bien trop vaste pour demeurer isolée à jamais. Les États-Unis ne pouvaient pas « se permettre de laisser la Chine infiniment en dehors de la famille des nations ». Prêchant une voie de « confinement sans isolement », Nixon a présagé la stratégie américaine qui a défini la Chine pour les cinquante années suivantes : agiter la carotte de l'intégration chinoise dans la « famille des nations » et du commerce mondial, tout en agitant la menace du bâton d'un bloc US-Pacifique militarisé et industrialisé. De telles mesures, selon Nixon, suffiraient à " provoquer le changement ... afin de persuader la Chine qu'elle doit changer ". 

Ce sont ces derniers mots – provoquer le changement - sur lesquels le secrétaire d'État M. Pompeo s'est attardé alors qu’il discutait des récents changements dans les relations sino-américaines lors d'un discours prononcé en juillet à la bibliothèque Nixon dans le comté d'Orange, en Californie. Offrant une évaluation critique de l'ère de l'Engagement initiée par Nixon, Pompeo a décrit la première réalisation de la politique étrangère de Nixon comme un exercice noble mais finalement naïf, ouvrant la voie à des décennies d '« Engagement aveugle » qui, plutôt que d'induire un changement, ont soutenu un « Frankenstein » Chinois qui a continuellement différer les espoirs de Washington de la libéralisation inévitable de la Chine.  

Le discours de M. Pompeo n'était que l'un des nombreux discours de juillet prononcés par des responsables de l'administration Trump qui ont déclaré la fin du « statu quo » et vanté le bilan de l'administration « dur avec la Chine ». Là où les négociations commerciales prolongées entamées en 2018 reposaient sur l'idée que la Chine pouvait être cajolée une fois pour toute et se conformer à l'hégémonie économique américaine, cette série récente de discours a révélé un message très différent. Comme l'a déclaré M. Pompeo : « Nous ne pouvons pas traiter cette incarnation de la Chine comme un pays normal, comme n'importe quel autre pays. » 

En effet, au cours des derniers mois et années, l'administration Trump a commencé à traiter la Chine moins comme un rival gênant que comme le « concurrent stratégique » identifié dans le document de stratégie de sécurité nationale de 2017 de l'administration Trump. L'arrestation du dirigeant de Huawei, Meng Wanzhou, au Canada en 2018; la désignation de journalistes chinois comme « missions à l'étranger »; les interdictions en cours sur TikTok et WeChat; l'examen et la surveillance d’étudiants et de scientifiques chinois à l'étranger; la sanction de responsables chinois et d’entreprises opérant à Hong Kong, au Xinjiang et en mer de Chine méridionale; et enfin, la fermeture forcée du consulat chinois de Houston - la ville qui a jadis accueilli Deng Xiaoping lors de sa visite historique aux États-Unis en 1979 - représentent tous une chronologie retentissante de l'escalade imposée par les États-Unis sur les relations américano-chinoises durant le court mandat de D. Trump.

Là où Nixon cherchait une intégration stratégique de la Chine dans la « famille des nations » - un euphémisme universalisant pour l'ordre mondial capitaliste dirigé par l'Occident - l'administration Trump trace de nouvelles lignes de confinement afin d’empêcher l'invasion supposée du Parti Communiste Chinois dans le cyberespace américain, dans les chaînes d'approvisionnement et les sphères d'influence. En effet, alors que Nixon s'inquiétait d'une Chine isolée laissée à elle-même « nourrissant ses fantasmes [et] chérissant ses haines », le sentiment récurrent dans tous les discours d'été prononcés par M. Pompeo, par le conseiller à la sécurité de la NSA, Robert O'Brien, par le procureur général William Barr et par le directeur du FB Chris Wray réitère que l' intégration profonde de la Chine dans l'ordre mondial représente aujourd’hui la véritable menace ; stratégie qui a produit non pas la libéralisation espérée de la Chine mais, comme ils le soutiennent maintenant, le parasitisme, la subversion et l'acquiescement international (« courbettes », dans le langage des faucons antichinois). 

Selon Barr, les « nombreuses tentacules » du Parti Communiste Chinois cherchent « à exploiter l'ouverture de nos institutions pour les détruire ». Ici, l'inévitable libéralisation de la Chine après son intégration dans l'économie mondiale est renversée : comme l'affirme M. Pompeo : « Si le monde libre ne change pas la Chine, alors la Chine Communiste nous changera certainement ». 

La crise du libéralisme occidental, sous pression de tous côtés, se brassant contre les mouvements populistes séparatistes de droite et les mouvements abolitionnistes contre le capitalisme racial à gauche, a sapé la « fin de l'histoire » triomphante promise par l'effondrement de l'Union soviétique ; crise à laquelle s’ajoutent les contradictions révélées par une pandémie mondiale, largement contrôlée par les États socialistes mais qui a conduit à des flambées sanitaires prolongées et ininterrompues dans une grande partie du monde capitaliste. Les craintes occidentales d'un ordre mondial façonné par la « Chine rouge » reflètent les contradictions intenables du libéralisme et du capitalisme eux-mêmes.           

Les conditions d'Engagement

La rhétorique trumpienne sur la montée en puissance de la Chine représente des décennies d'ouvertures par les États et les entreprises américaines en Chine, en fait représente un programme d'apaisement du XXIe siècle, dans lequel, selon cette rhétorique, la recherche du profit et la naïveté des États-Unis ont sapé la main ferme nécessaire à forcer de façon efficace une transformation de la structure politique Chinoise. Le directeur de la NSA, Robert O'Brien, a décrit ce nouveau truisme de politique étrangère comme tel: « Plus nous ouvrions nos marchés à la Chine, nous pensions alors, plus nous investissions de capitaux en Chine, plus nous aidions a la formation de bureaucrates, de scientifiques, d’ingénieurs et même d’officiers militaires, plus la Chine deviendrait comme nous. » 

Mais l'apparente dichotomie entre l'Engagement et l'endiguement élude le fait que ces deux aspects se veulent du même programme impérialiste. Si les États-Unis sont passés (ou plus exactement, sont revenus) à une guerre hybride contre la Chine, c'est un changement de tactique plutôt que l'un des résultats souhaités. Pour les stratèges de Washington, un véritable bilatéralisme fondé sur la souveraineté de la Chine et la légitimité de son système politique et économique n’a jamais été accepté. 

En effet, le « sens commun » partagé de l'Engagement et de l'endiguement est en fait une attitude paternaliste et coloniale selon laquelle les États-Unis s’octroient le droit et la responsabilité d ‘ « induire le changement » au sein du système Chinois. Il n'y a aucune discussion sur les fins, uniquement sur les moyens. Que cela se fasse, soit par cooptation, soit par force ; il s'agit d'un différend seulement sur les outils appropriés et nécessaires à provoquer l'insertion inéluctable de la Chine dans la modernité libérale-capitaliste occidentale. 


Le « sens commun » partagé de l'Engagement et de l'endiguement est une attitude paternaliste et coloniale selon laquelle les États-Unis ont le droit et la responsabilité d ‘ « induire le changement » au sein du système chinois. 


Un retour sur les débats de Washington au sujet de sa politique chinoise à la fin du XXe siècle illustre bien la continuité idéologique des cinq dernières administrations présidentielles, démontrant à quel point le chauvinisme américain, la grandeur impériale et l'universalisme occidental ont défini une perspective cohérente, ainsi qu’une approche flexible et discontinue, caractérisant la stratégie américaine envers la Chine. 

Ainsi, la diplomatie Américaine, après Nixon, a embrassé au sujet de la Chine une pensée antérieure aux positions de ce dernier. Dans une série de discours en 1957-1958, le secrétaire d'État américain John Foster Dulles a proposé une « évolution pacifique » comme moyen de « raccourcir la durée de vie anticipée du communisme » - suggérant que les idées, le style de vie et la culture seront les fronts clés d'une  guerre idéologie destinée à renverser le communisme chinois et soviétique. Cependant, la perspective d'une évolution pacifique a fonctionné en tandem avec la réalité de l'endiguement militarisé. Stupéfié par leur « perte de la Chine », les dirigeants de la politique étrangère américaine ont adopté une attitude sévère en instaurant un embargo commercial international sur la République Populaire nouvellement établie, en s’engageant dans la guerre de Corée et en invoquant la menace nucléaire durant la première crise du détroit de Taiwan. 

Ces premières décennies, après l'établissement de la République Populaire, ont marqué une ère d'incertitude, au cours de laquelle les diplomates de Washington ont eu du mal à parvenir à un consensus sur la façon de traiter avec une Chine communiste, ce après avoir versé des milliards de dollars d'aide militaire et de prêts au nationaliste Guomindang. Au contraire, la détente de Nixon - surdéterminée par  l’opportunisme géopolitique de la guerre froide et les conséquences de la scission sino-soviétique - a annoncé ce que M. Pompeo décrit comme un « âge d'inévitabilité ».     

Comme Margaret Thatcher et l’idéologie néolibérale ascendante ont déclaré, « il n'y a pas d'alternative » au modèle capitaliste occidental, les cavaliers de la convergence capitaliste avaient raison d’optimisme. La politique soviétique de perestroïka – la libéralisation politique et économique - avait entamé le processus corrosif qui conduirait à son effondrement. C'est à cette époque que la notion         d '« évolution pacifique » de Dulles a refait surface provoquant l’anxiété particulièrement dans les cercles politiques et intellectuels chinois. Comme Deng Xiaoping le reflétait en 1992, « les impérialistes veulent imposer une évolution pacifique vers le capitalisme en Chine, plaçant leurs espoirs sur les générations qui viendront après nous. » 

Deng avait déjà reconnu depuis longtemps que la réforme et l'ouverture du pays avaient introduit en Chine des aspects matériels et idéologiques du capitalisme. Selon la métaphore préférée de Deng, « ouvrir les fenêtres » aux capitaux étrangers a apporté de l'air frais ainsi que des mouches qu'il nous faut combattre. Ceci exprimait la fermeté de la direction du Parti qui assurait la répression des éléments capitalistes et l'adhésion à la voie socialiste. En particulier, les manifestations de Tiananmen de 1989 reflétaient les contradictions nées de la réforme et de l'ouverture, illustrant clairement que l'intériorisation des idéaux occidentaux du libéralisme bourgeois par les jeunes générations pouvait entraîner la lente érosion de la voie socialiste.   

C'est dans ce contexte que les débats de Washington sur les relations avec la Chine dans les années 1990 ont éventuellement adapté les visions de Nixon sur l'intronisation de la Chine dans la « famille des nations » avec une vision néolibérale de l'intégration de la Chine dans l'échelle mondiale du capital et de la consommation - avec les États-Unis à sa tête bien évidemment. 

La législation annuelle visant à renouveler le statut commercial de Nation la Plus Favorisée (NPF) de la Chine, rendu permanent en l’an 2000, a servi de forum récurrent du débat sur l'efficacité de cette stratégie d'influence par intégration. Dans un discours de 1991, George H.W. Bush a invoqué la raison « morale » du renouvellement du régime NPF: « exporter les idéaux de liberté et de démocratie ... pour créer un climat propice au changement démocratique ». 

L'optimisme de Bush quant à l'inévitabilité de l'effondrement du régime était sans aucun doute influencé par la dissolution imminente de l'Union soviétique après une demi-décennie de perestroïka :

Aucune nation sur terre n'a découvert de moyen d'importer les biens et services du monde tout en stoppant à sa frontière les idées étrangères. Tout comme l'idée démocratique a transformé des nations sur tous les continents, le changement viendra inévitablement en Chine.   

La tautologie de tandem, libéralisation économique et politique, témoigne à la fois de la ferveur néolibérale du moment et de la longue histoire de la coévolution du libéralisme avec le capitalisme. Bush, comme beaucoup d'autres, a lié « la cause de la privatisation et celle des droits de l'homme » comme une seule et même chose. Dans la tradition libérale classique, le droit à la propriété privée et à l'accumulation du capital a été posé comme le droit fondamental dont découlent tous les autres droits politiques libéraux. Comme l'a dit la représentante Nancy Johnson (CT-R) en déclarant son soutien au statut NPF permanent en 2000: « Lorsqu'un Chinois se rend compte qu'il a des droits, en tant qu'investisseur, que le gouvernement ne devrait pas violer, plus il se rendra probablement compte qu'il a d'autres droits en tant qu'être humain ».   

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Le cas du président Bill Clinton en faveur de l'entrée de la Chine dans l'Organisation Mondiale du Commerce relève de la même logique. Citant les intérêts des missionnaires évangéliques aux côtés de ceux des grandes entreprises, Clinton a fait valoir qu'en adhérant à l'OMC, la Chine acceptait non seulement d'importer des produits américains, mais aussi « d'importer l'une des valeurs les plus chères de la démocratie, la liberté économique ». 

Ces articulations grandioses de la « liberté » bourgeoise enrobaient des intérêts, plus pragmatiques, économiques américains. Un lobby d’entreprises très important, soutenant le statut NPF de la Chine, décrivait la nation Chinoise comme un marché inexploité « d’un milliard de clients. » Dans un discours de 1997 sur « La Chine et l'intérêt national », Clinton associait sans hésitation « de bons emplois et des revenus plus élevés dans notre pays » à la capacité de faire de la Chine un « aimant pour nos produits et services ». 

Donner priorité aux intérêts américains impliquait des stipulations sur l'intégration de la Chine : Clinton a appelé la Chine à « faciliter de manière considérable l'accès aux biens et services étrangers », à « [abattre] les barrières commerciales » et à mettre fin au favoritisme et au protectionnisme envers les entreprises chinoises. Le fait que ces mêmes problèmes restent des points de friction dans la guerre commerciale de l'administration Trump témoigne de la frustration constante de Washington selon laquelle les visions de dépendance au libre-échange restent contrecarrées par les efforts de la Chine pour conserver sa souveraineté économique au sein d'un système mondial capitaliste.   

Loin de l'apaisement, les orientations américaines envers la Chine étaient guidées par une confiance en l'avenir d’une Chine dépendante du pouvoir capitaliste occidental. Citant la dépendance de la Chine vis-à-vis des investissements étrangers, Clinton a fait remarquer en 1997 que la Chine était alors le deuxième plus grand bénéficiaire d’investissements directs étrangers dans le monde –        des « liens », affirma Clinton, qui « apportent avec eux de puissantes forces de transformation ». 


Exagérer la nature d'un alignement des intérêts américains et chinois, c'est ignorer les présupposés fondateurs de la stratégie d'Engagement des États-Unis:  l'Engagement de la Chine avec l'ordre mondial occidental par le commerce, par les investissements directs étrangers, par les prêts du FMI et l'ascension vers le commerce international et les organismes diplomatiques, créeront inévitablement les conditions de l'érosion de la souveraineté chinoise, du socialisme et de la direction du Parti Communiste lui-même.


Pourtant, certains à gauche ignorent les aspirations coloniales évidentes des États-Unis cachées derrière l'ère d’Engagement qui dépeignent la Chine comme un partenaire junior volontaire de l'empire américain et imposent un récit rétroactif de l'alignement idéologique entre Chinois et Américains lors de la seconde moitié de la guerre froide. Certes, le rapprochement américano-chinois est né des opportunités géopolitiques de la guerre froide, en particulier de la précarité géopolitique et économique de la Chine suite à la scission sino-soviétique. Mais exagérer la nature d'un alignement des intérêts sino-américains, signifie ignorer les présupposés fondateurs de la stratégie d'Engagement des États-Unis. L’Engagement chinois avec l'ordre mondial occidental à travers le commerce, les investissements directs étrangers, les prêts du FMI et l'ascension vers le commerce international et les organismes diplomatiques étaient supposer créer inévitablement les conditions de l'érosion de la souveraineté chinoise, du socialisme, et de la direction du Parti Communiste lui-même. Loin de la convergence idéologique, cette ère d'Engagement devrait être plus précisément décrite comme la poursuite américaine d'un changement de régime en Chine par d'autres moyens.

Le développement socialiste brise le « consensus de Washington »

Beaucoup d'encre a été répandue pour décrire le « miracle économique » Chinois dans les décennies qui ont suivi la levée de l'embargo commercial américain (1972) et le rétablissement conditionnel de relations commerciales normalisées (1979). En 1980, le produit intérieur brut (PIB) par habitant de la Chine s'élevait à 200 dollars. Aujourd'hui, ce chiffre s'élève à plus de 10 000 dollars, ce qui signifie que la situation matérielle du Chinois moyen s'est améliorée de 50 fois au cours des 40 dernières années.  

Alors que ces prêcheurs de guerre froide peignent la Chine d'aujourd'hui comme un monstre « Frankenstein » soutenu par les économies et les intérêts commerciaux occidentaux, et s’évertuent à représenter l’essor de la Chine comme « preuve » de supériorité du capitalisme, il est impossible néanmoins d’attribuer le développement chinois à une supposée adhésion au modèle capitaliste occidental. Tout d’abord, les progrès pendant l'ère Mao en matière de santé, de durée de vie et d’alphabétisation ont constitué le fondement de la main-d'œuvre qui a permis l'industrialisation de la Chine. Ensuite, la nature du socialisme aux caractéristiques chinoises - à savoir les restrictions imposées sur le contrôle étranger d’industries critiques, le rôle décisif de l'industrie publique, le contrôle politique sur le capital plutôt que le contrôle capitaliste de la politique ainsi que l'accent placé sur la réduction de pauvreté - a fait de la Chine l'un des rares pays en développement à conserver un semblant d'indépendance politique et économique face à l'introduction du capital occidental.

Les progrès de la Chine en matière de réduction de pauvreté - avec plus de 80 millions de personnes sorties de la pauvreté depuis 2012 seulement - témoignent de la nature unique de son économie politique centrée sur les êtres humains. Témoignage historique mondial du succès du modèle socialiste chinois, la pauvreté absolue devrait être éradiquée en 2020. Ces exploits distinguent la Chine de la majorité des pays en développement, où la croissance du PIB ne correspond pas nécessairement à une augmentation du niveau de vie pour les couches sociales défavorisées. 


Comprendre le développement chinois comme produit du socialisme de marché plutôt que du triomphe capitaliste permet d’expliquer les frustrations des dirigeants politiques occidentaux qui, depuis des décennies, ont cherché à forcer la Chine vers la dépendance politique et la déstabilisation par la libéralisation économique. 


Comprendre le développement chinois comme produit du socialisme de marché plutôt que du triomphe capitaliste permet d’expliquer les frustrations des dirigeants politiques occidentaux qui, depuis des décennies, ont cherché à contraindre la Chine à la dépendance politique et à la déstabilisation par la libéralisation économique. Il n'est donc pas surprenant que les mesures mêmes par lesquelles le Parti Communiste a cherché à sauvegarder la souveraineté économique et à éviter les écueils de la dépendance au libre-échange soient les mêmes politiques qui ont été résolument ciblées par les forums commerciaux internationaux et l'agression commerciale unilatérale des États-Unis. 

La persistance des exigences occidentales sur les termes de l'Engagement économique de la Chine témoigne de la véritable obsession des Occidentaux de dominer financièrement le légendaire « El Dorado » du marché chinois. Alors que la Chine négociait son entrée à l'Organisation Mondiale du Commerce en s'engageant à baisser les droits de douane, à réduire le commerce d'État et à ouvrir ses secteurs de services essentiels aux investissements étrangers, les médias occidentaux ont annoncé la « privatisation ultime » de la Chine aux mains des entreprises occidentales.  

Pourtant, là où Clinton envisageait en 1997 l'extinction des « entreprises étatiques désuètes » qui ne pourraient prétendument pas rivaliser sur le marché mondial ; en 2020, 82 des 119 entreprises chinoises du Fortune 500 restent sous le contrôle de l'État. En anticipation de l'effondrement très attendu de « l' économie zombie » appartenant à l'État chinois , les puissances impérialistes se sont tournées vers l'OMC comme matraque politique commerciale: entre 2009 et 2015, 90% des différends à l' OMC entre la Chine, les États-Unis, le Japon et l'Allemagne ont été le produit de ces trois derniers contre la Chine. La plupart de ces différends reposent sur une attaque contre l'implication de l'État chinois dans l'économie, des capitalisations boursières sur la propriété étrangère aux subventions publiques et aux entreprises publiques. 

Certes, l'influence des idéaux néolibéraux et un état d'esprit axé sur la croissance qui soumettent l'idéologie a l'économie ont trouvé des points d’appuis significatifs autant dans le Parti que dans la société civile chinoise. Mais si la restructuration d'environ la moitié des entreprises publiques chinoises sous Zhu Rongji entre 1997 et 2003 a marqué le pas le plus brutal vers une privatisation totale, le marché chinois n'a jamais été complètement « ouvert » au pouvoir monopoliste et impérialiste comme la plupart des autres pays « émergents ». Au moment de l'ascension de la Chine à l'OMC en 2001, bien des commentateurs ont déploré le fait qu'en dépit de la croissance de la Chine en tant qu'économie orientée vers l'exportation, elle n'est restée que « superficiellement intégrée » a l'économie mondiale, le pouvoir d’état sur les industries critiques appartenant à ce dernier, telles que les banque, les industries de communications et d'énergie demeurant « à l'abri de la concurrence internationale ». Ce que l'économiste marxiste Samir Amin a appelé la mondialisation « partielle et contrôlée » de la Chine, en particulier le contrôle de l'État sur ses systèmes bancaires, est au cœur de la lutte de la Chine pour maintenir sa souveraineté dans un système mondial capitaliste.  

« Chimerica » comme parasitisme impérial 

L'entrée de la Chine à l'OMC et son accumulation ultérieure de réserves de dette américaine ont annoncé ce que les experts occidentaux ont appelé « Chimerica » - une bête économique qui représente désormais 40% du PIB mondial. Considérée à la fois avec respect et crainte, la classe capitaliste occidentale apprécia le rôle de l'intégration de la Chine dans la suppression du taux d'intérêt américain et la subvention de la consommation de la classe moyenne par importations bon marché. Cependant, les nationalistes économiques continuèrent de se méfier de la délocalisation des emplois manufacturiers et de l'abandon des chaînes d'approvisionnement essentielles au contrôle chinois. 

Alors que l'administration Trump tente de briser la « chimerica » par une nouvelle rhétorique de découplage, ces tendances ont trouvé une nouvelle pertinence dans les récentes réévaluations des deux économies. D'une part, des récits tels que l'article de couverture de Newsweek en 2019, « Comment les plus grandes entreprises américaines ont rendu sa grandeur a la Chine » décrivent la convergence économique sino-américaine comme le renflouement, par les entreprises américaines, d'une économie chinoise par ailleurs saturée et en déclin. D'un autre côté, la dépendance des États-Unis à l'égard des chaînes d'approvisionnement chinoises a été décrite comme une menace économique et sécuritaire dangereuse - langage mis en avant en particulier lors de la pandémie du COVID-19, alors que des faucons antichinois tels que Peter Navarro ont insisté sur une chaîne d'approvisionnement médicale désastreuse fondée sur le principe de     « l’Amérique d’abord » et supposée en dehors de tout contrôle chinois. 

Et pourtant, aucune de ces deux constructions ne rend compte de la nature fondamentale de la relation « Chimerica » c’est à dire celle du parasitisme impérialiste. Qu’elle soit médiatisée par l'octroi du statut commercial de Nation la Plus Favorisée et par l'ascension de la Chine dans l'OMC, la relation américano-chinoise repose sur un déséquilibre économique dans lequel les entreprises occidentales récoltent les fruits d’une main-d'œuvre Chinoise massive et bon marché tout en gonflant la consommation occidentale grâce à l'accès à des importations bon marché. En vertu de ces termes d'Engagement, la Chine a historiquement subi le fardeau de l'extraction par l’occident de ressources délocalisées, de fabrication sale et d’exportations de déchets. Alors que des décennies de politique commerciale américaine ont décrié un « déséquilibre commercial » en faveur de la Chine, l'avantage américain quant à lui est quantifiable : entre 1978 et 2018, en moyenne, une heure de travail américain a été échangée contre près de quarante heures de travail chinois.    

L'omniprésence des biens de consommation « fabriqués en Chine » dans les années 2000, ainsi que la connotation racialisée selon laquelle ces produits étaient nécessairement bon marché, sales ou préfabriqués - témoignaient d'une relation économique entre les États-Unis et la Chine qui se résumait à la maxime « La Chine produit, les États-Unis consomment » .  À l'ère des « portes ouvertes » et  des guerres de l'opium, l'économiste britannique et critique de l'impérialisme J. A. Hobson a décrit la colonisation imminente de la Chine comme « l’inévitable drainage du plus grand réservoir potentiel de profit que le monde ait jamais      connu » afin de le consommer en Occident.  L'intégration de la Chine au XXIe siècle dans le système économique capitaliste mondial a réalisé, en partie, ce vieux fantasme impérial. 


À l'ère des « portes ouvertes » et des guerres de l'opium, l'économiste britannique et critique de l'impérialisme J. A. Hobson a décrit la colonisation imminente de la Chine comme « le drainage inévitable du plus grand réservoir potentiel de profit que le monde ait jamais connu » afin de le consommer en Occident.  L'intégration de la Chine au XXIe siècle dans le système économique capitaliste mondial a réalisé, en partie, ce vieux fantasme impérial.


La volonté de la Chine d’accepter de tels termes est souvent interprétée à tort comme le signe d'un parti au pouvoir qui n’est communiste que de nom, révélateur d'un « capitalisme d'État » chinois qui a attelé son chariot au commerce capitaliste impérialiste de l'Occident. Cependant, une compréhension du socialisme aux caractéristiques chinoises situe plutôt l'Engagement chinois avec le capital occidental comme un marché négocié fondamental de la part de la direction du Parti. Depuis les 11ieme séances plénières du Comité central entre 1977 et 1982, le Parti a officiellement reconnu la contradiction principale de la société chinoise située « entre les besoins matériels et culturels toujours croissants du peuple et une production sociale arriérée ». Selon la formulation de Deng, l'air frais de l'investissement étranger, du transfert de technologie et du progrès productif justifiait les mouches qui inévitablement l'accompagnaient.   

La libéralisation économique contrôlée a néanmoins créé les conditions d'une pensée néolibérale. L'accent mis sur la croissance économique a sans doute créé un malentendu populaire sur la relation entre politique et économie, ce que Wang Hui appelle la « politique dépolitisée » de l'ère Deng. Une telle pensée coïncidait également avec une idéologie pro-américaine et une croyance populaire dans les destinées entrelacées de la Chine et des États-Unis. À la suite de la crise financière occidentale de 2008, des slogans tels que « sauver l'Amérique, c'est sauver la Chine» (救 一国 就是 救 中国) et « la théorie du couple Chine-États-Unis » (中ط 夫妻 论) reflétaient l'intérêt national perçu de la Chine pour stabiliser l'économie mondiale capitaliste et éviter son effondrement interne, et la conviction que les divergences idéologiques et politiques entre la Chine et le monde capitaliste occidental pourraient être résolues par la seule coopération économique. 

Une telle confiance dans les destins entrelacés de la Chine et des États-Unis témoigne d'une sous-estimation critique des conditions préalables de coopération économique. Bien qu'elle soit enveloppée dans la ferveur de l'idéologie de la guerre froide, l'agression américaine contre la Chine est aussi décidément matérielle. Après tout, l'alignement des aspirations de développement national de la Chine avec la soif de la classe capitaliste américaine pour une main-d'œuvre bon marché de masse a toujours été basé sur la condition que la Chine « reste à sa   place » sur l'échelle mondiale de l'offre. 

Dans cette optique, les demandes occidentales récurrentes d'accès au marché, de privatisation et de fin a la planification économique étatique fonctionnent comme des tentatives de limiter la croissance de la Chine dans les limites mêmes du monde unipolaire américain. Les efforts chinois pour sortir de son rôle prédéterminé d ‘ « usine du monde » sont donc nécessairement interprétés comme un défi existentiel à l'hégémonie américaine. Derrière le jargon financier de droits de douane, de manipulation de devises et du statut commercial de Nation la Plus Favorisée, les stipulations américaines sur l'Engagement de la Chine dans l'économie mondiale restent fondamentalement une question d'impérialisme, d'extraction de profit et de souveraineté économique.


Derrière le jargon financier de droits de douane, de manipulation de devises et du statut commercial de Nation la Plus Favorisée, les stipulations américaines sur l'Engagement de la Chine dans l'économie mondiale restent fondamentalement une question d'impérialisme, d'extraction de profit et de souveraineté économique.


En fait, la restructuration économique continue de la Chine au cours de la dernière décennie est surtout conséquente de la réalisation de sa dépendance excessive vis-à-vis du capital occidental ; une dépendance d'autant plus désastreuse lorsque les États-Unis se tournent vers le « découplage ». À la suite de la crise financière de 2008, un rapport du Ministère Chinois du Commerce de 2010 a expliqué que pour chaque 100 milliards de dollars d'exportations de la Chine vers les États-Unis, les États-Unis obtiennent 80 milliards de dollars de bénéfices contre 20 milliards de dollars pour la Chine. Des rapports similaires ont quantifié le « dividende hégémonique » produit par les profits du monopole américain via l'hégémonie du dollar, le seigneuriage de la dette et les produits financiers dérivés. Cela a conduit la Chine à se recentrer sur les marchés intérieurs, sur « la qualité et l'innovation » au lieu d’exportations de bas de gamme ainsi que sur la restructuration industrielle telle qu’elle a été exprimée lors du 12e plan quinquennal.(2011-2015). Ce pivot économique consolidé dans le cadre de l'initiative Fabriqué en Chine 2025, privilégiant l'innovation et les marchés intérieurs se décrit mieux suivant l’expression :  Fabriqué par (et souvent, pour) la Chine.   

Des responsables américains et chinois, dont le vice-premier ministre chinois Liu He, le représentant américain au commerce Robert Lighthizer et le secrétaire au Trésor Steve Mnuchin, se rencontrent lors des négociations à Shanghai en juillet 2019. …

Des responsables américains et chinois, dont le vice-premier ministre chinois Liu He, le représentant américain au commerce Robert Lighthizer et le secrétaire au Trésor Steve Mnuchin, se rencontrent lors des négociations à Shanghai en juillet 2019. [Ng Han Guan / AFP / Getty Images]

Dans cette optique, la diabolisation occidentale de Xi Jinping en tant que personnification d'une autre « perte » de la Chine a tout à voir avec le fait que sous le mandat de Xi, la Chine a consolidé la défense des principes socialistes de son économie politique, à savoir a mis l'accent sur la direction du Parti plutôt que sur le secteur privé, sur l'élargissement du rôle des entreprises publiques ainsi que sur la répression de fonctionnaires corrompus exploitant l'afflux de capitaux au cours de réformes et d’ouverture à des fins financières personnelles. Associé au succès de la planification économique de l'État dans la gestion de la crise de la pandémie du COVID-19 en Chine et au prochain plan quinquennal priorisant « la revitalisation rurale », la réinsertion de l'État dans la planification économique et l'autonomie est susceptible de se consolider encore davantage, a laquelle s’ajoute une position diplomatique et internationale plus solide à travers des initiatives internationales telles que la Ceinture et la Route et la Banque Asiatique d'Investissement dans les Infrastructures, visant ainsi à réduire la dépendance de la Chine sur les marchés occidentaux et les institutions internationales sous contrôle occidental.  La dernière décennie a annulé tous les doutes, à savoir si la Chine rejoindrait les rangs du Japon ou de la Corée du Sud en tant que partenaires juniors d'un système mondial capitaliste et impérialiste dirigé par les États-Unis. Au grand dam de l'élite politique occidentale, l'ère du « temps d'attente, de dissimulation de force » semble être définitivement révolue.     


Vue dans ce contexte historique, la soi-disant « guerre commerciale » entre les États-Unis et la Chine est mieux comprise comme une tentative ultime de limiter l'essor économique de la Chine dans les limites prédéterminées de l'ère de l'Engagement.


Vue dans ce contexte historique, la soi-disant « guerre commerciale » entre les États-Unis et la Chine est mieux comprise comme une tentative ultime de limiter l'essor économique de la Chine dans les limites prédéterminées de l'ère d’Engagement. L'ancien stratège de la Maison Blanche, Steve Bannon, a présenté une évaluation étonnamment convaincante. Décrivant l'urgence que Beijing a placé derrière Fabriqué en Chine 2025 dans le contexte des sanctions américaines contre ZTE, Bannon a déclaré : « Ils [les chinois] comprennent leur faiblesse, à quel point ils sont inextricablement liés à l'Occident ».  En d'autres termes : il faut frapper les sphères encore existantes de dépendance chinoise sur les capitaux occidentaux - telles que les puces à semi-conducteurs et le système de transfert SWIFT – et ceci avant la pleine maturation d'une économie d'innovation chinoise. 

La négociation dure de la phase un d'un accord commercial entre les États-Unis et la Chine en janvier 2020 laissait présager exactement cela. Décriée par les internautes chinois et les médias d'État comme un retour aux « traités inégaux » néocoloniaux du XIXe siècle, la première phase a forcé la Chine à faire des concessions sur les questions de transfert de propriété intellectuelle, sur l'augmentation d’achats d'exportations américaines et sur l'accès au marché par des entreprises de services financiers américaines. Ce dernier point, visant à répondre à ces groupes d'intérêts commerciaux américains ayant qualifié ce segment du marché chinois comme « anémique » en conséquence aux restrictions chinoises stratégiques sur les sociétés financières étrangères, a conduit le secteur financier américain à saliver en anticipation a l’ouverture de « son secteur financier de 45 milliard de dollars ». Des analystes américains optimistes ont promis qu'un accord de phase 2 pourrait cibler des fruits plus élevés : les subventions d'État, la discrimination contre les entreprises étrangères et le Fabriqué en Chine 2025 lui-même. Mais moins d'un an plus tard, la signature de l'accord commercial de phase 1 semble déjà comme la relique d'une autre époque, la dernière tentative de la part des États-Unis de préserver l'hégémonie vis-à-vis de la Chine par des négociations bilatérales plutôt que par l'agression unilatérale caractéristique de ces derniers mois. 

Exemple concret: quelques semaines à peine après la signature de l'accord, le secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, remarquait le « bon côté » des choses à l'annonce de cas d’infections causés par un coronavirus inconnu dans la ville de Wuhan - l'épidémie, selon lui, pourrait « aider à accélérer le retour d’emplois en Amérique du Nord ». Neuf mois plus tard, le bilan de décès causés par la pandémie aux États-Unis s'élève à plus de 210 000, avec 20,6 millions de pertes d' emplois . De plus, la Chine est devenue la seule grande économie à afficher une croissance de PIB au deuxième trimestre de 2020 - un modeste 3,2% qui reste néanmoins signifiant vue la chute de 32,9% des États-Unis. 

L'administration Trump a refusé la possibilité de négociations de la deuxième phase.  

Le pivot bipartisan vers l'Asie 

Rétrospectivement, la guerre commerciale peut être considérée comme un chant du cygne de l'ère d'Engagement. Le COVID-19 a mis à nu les vulnérabilités de la grande majorité des Américains sous le néolibéralisme, tandis que la réponse socialiste de la Chine à la pandémie  a démontré une divergence économique d’époque. La fenêtre d'opportunité dont l’objectif était de freiner l’essor en puissance de la Chine par le bilatéralisme s’est pratiquement fermée, les États-Unis se sont alors orientés vers l’imposition de sanctions, le découplage et la militarisation – instruments d'une nouvelle doctrine de confinement. 

« L'évolution pacifique » présupposée par l'Engagement des États-Unis avec la Chine a cependant toujours été surdéterminée par l'ombre d’une guerre directe et de l'encerclement militaire. Comme l'ont bien démontré les spécialistes marxistes de la théorie des systèmes mondiaux ; une structure d'hégémonie économique et de dépendance, à la fin, reste toujours soutenue par la suprématie militaire.   


Après avoir assisté à deux décennies de belligérance militaire Américaine largement sans opposition au Moyen-Orient, l'accent, mis récemment par la Chine sur la modernisation de son armée, est sans aucun doute façonné par la reconnaissance des moyens que les États-Unis privilégient face à la non-conformité géopolitique.   


« L’option nucléaire » a ainsi jeté une ombre sur les relations sino-américaines. Que ce soit des premières propositions de la guerre froide visant à bombarder les centres d'approvisionnement chinois pendant la guerre de Corée ou à lancer des frappes nucléaires lors de la première crise du détroit de Taiwan jusqu’au bombardement « accidentel » de l'ambassade de Chine à Belgrade par l'OTAN en 1999, la stratégie chinoise a longtemps été informée par la reconnaissance de ce que les États-Unis appellent, par euphémisme, leur « avantage militaire asymétrique » en Asie et dans le Pacifique. Après avoir assisté à deux décennies de belligérance militaire Américaine largement sans opposition au Moyen-Orient, l'accent, mis récemment par la Chine sur la modernisation de son armée, est sans aucun doute façonné par la reconnaissance des moyens que les États-Unis privilégient face à la non-conformité géopolitique.   

Les tentatives américaines de renégocier les conditions d'Engagement au cours de la dernière décennie ont également été soutenues par le remaniement discret de l'armée américaine vers le « théâtre du Pacifique ». Avec moins de grandiloquence mais sans doute plus de substance, le « Pivot vers l'Asie » militaire de l'administration Obama, transférant 60% de la capacité de la marine et de la lutte aérienne américaine vers le théâtre du Pacifique, a précédé la qualification de la Chine par l'administration Trump de « concurrent stratégique ». Cet encerclement militaire rajoutait du poids au partenariat Trans-pacifique de libre-échange d'Obama, dont l’objectif cherchait soit à renforcer la puissance économique régionale des États-Unis à l'exclusion de la Chine, soit à intégrer la Chine dans de nouvelles conditions de libéralisation économique. 

La décision rapide de l'administration Trump de retirer les États-Unis du partenariat Trans-pacifique est souvent citée comme preuve de la différence de politique chinoise entre les deux administrations. Pourtant, la stratégie militaire de Trump n’a largement été que la continuation du changement initié par le pivot d'Obama vers le théâtre du Pacifique. En 2019, le secrétaire à la Défense, Mark Esper, a ajouté quelques fanfaronnades rhétoriques aux calculs discrets de l'administration Obama, en déclarant la Chine comme la « priorité numéro un » du Pentagone. Et en 2020, le commandement indopacifique américain a publié un plan budgétaire intitulé « Regagner l’avantage », demandant 20 milliards de dollars destinés à conserver la suprématie militaire dans la région Asie-Pacifique grâce à une expansion massive de missiles, de radars et de « réseaux de frappe de précision » dans les régions de Guam, Okinawa et Hawaii. 

L'accord de stratégie militaire américaine envers la Chine entre les administrations Obama et Trump reflète un consensus bipartisan : « la montée en puissance de la Chine » a dépassé les limites acceptables pour l'hégémon américain, créant des décroissances de retour d’interets dans la relation parasitaire entre les États-Unis et la Chine.  

Pendant ce temps, il est bien évident que le Parti Démocrate n'a aucune alternative au programme d'escalade unilatérale et de détérioration des relations sino-américaines. Joe Biden s'est mis à ridiculiser Trump pour avoir permis à la Chine de perfectionner « l'art du vol » et a condamné ce dernier pour avoir loué la réponse précoce de Xi Jinping au COVID-19, insistant sur le fait qu'il aurait dû exigé des « bras sur place » à Wuhan. Dans un aperçu de son programme politique anticipé, la secrétaire à la Défense, favorite de J. Biden, Michèle Flournoy a dénoncé « l'érosion de la dissuasion américaine » et a appelé à de nouveaux investissements et innovations, déterminée a  « maintenir l'avantage de l'armée américaine » en Asie au nom de la « paix ». 

Comme le formule l’expression néolibérale, « il n'y a pas d'alternative » à un piège Thucydide fabriqué par les États-Unis eux-mêmes. Au détriment de l'humanité, la vision du monde hégémonique des États-Unis insiste à déformer les déclarations chinoises de souveraineté, de multilatéralisme et d ‘ « avenir partagé pour l'humanité » et de les transformer en menaces d'agression et d'impérialisation.

La fin de l'Engagement marque une réévaluation critique de la part des États-Unis. En effet, le changement en Chine ne pourra être « induit » uniquement par des moyens de cooptation. Si une guerre « chaude » ne peut être prise en considération étant donnée l’imbrication des économies Américaine et Chinoise, alors les efforts des États-Unis vers un découplage économique doivent également être compris comme une stratégie militaire, ouvrant la porte à toute une gamme de tactiques d'escalade. 

Mais la fin de l'Engagement représente également un carrefour historique entre les voies de l'unilatéralisme et du multilatéralisme. Contrairement aux craintes du Département d'État, la montée en puissance de la Chine n'est pas une menace pour l'hégémonie américaine, menace supposée que la Chine chercherait sa propre hégémonie. La véritable menace pour l'hégémonie américaine est plutôt le rôle que la Chine est en train de prendre dans l'inauguration d'une nouvelle ère de multilatéralisme, dans laquelle des institutions telles que l'ONU, jadis utilisées comme mandataires d'une « Pax Americana » hégémonique remplissent plutôt leur promesse en tant que plateformes de paix et de coopération internationales. Les engagements croissants de la Chine avec les forces onusiennes pour le maintien de la paix, avec l' Organisation mondiale de la santé ainsi qu’avec les efforts internationaux de création de vaccins contre Covid-19 comme COVAX ; tous ces engagements témoignent de l'intérêt de la Chine à renforcer le multilatéralisme fondé sur le droit comme contrepoids à la belligérance américaine contemporaine.     

Telles sont les répliques de la Chine à la mentalité américaine de guerre froide. Devant l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre, le président Xi Jinping a déclaré que la Chine « n'a aucune intention de combattre ni une guerre froide ni une guerre chaude avec aucun pays », rejetant la géopolitique à somme nulle et appelant à une coopération mondiale afin d’affronter ensembles les crises du COVID -19 et du changement climatique. 

Le fait que la souveraineté chinoise et la voie socialiste aient été annoncées comme une menace existentielle pour l'alliance occidentale en dit beaucoup plus sur la nature de l'hégémonie américaine que sur le caractère de l'essor chinois. Après tout, ce n'est pas la Chine mais l'empire américain qui insiste à diviser le monde en camps opposés. En fin de compte, il n'y a que deux choix : soit celui de l'impérialisme, de l'unilatéralisme et de l'hégémonie – soit celui de l'avenir. 


















 

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